Procès à Calvinet en 1773

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La foire de Calvinet

Le vendredi 23 avril 1773, fête de Saint-Georges, se tenait au dit Calvinet (2), au diocèse de St Flour, en bel affluence dès la prime aube, car de temps immémorial s'y vendaient des dizaines de cochons, des centaines de bêtes à cornes. On y venait en foule de Maurs, de Montsalvy, d'Aurillac, de plus loin encore, de Rouergue, de Quercy, de Gévaudan, qui pour renouveler son cheptel ou l'enrichir de quelques têtes, qui pour donner des bêtes à chateil que l'on irait peut-être vendre un jour jusqu'en Languedoc, aux portes de Montpellier ou de Nîmes. Aussi y avait-on le gousset bien garni d'écus et de louis, la langue déliée, la bouteille facile, si propice à conclure un marché, parfois même la bouche pâteuse et le geste mal asuré. Cabarets et auberges, sans désemplir un instant, servaient le vin, celui d'Agnac ou du Fel, et la soupe trempée de larges tranches de pain sur les belles côtes de choux ; il n'est pas impossible d'ailleurs qu'il s'y fût trouvé de grosses couennes de lards ! De bouchée en goulée, de panade en rasade, on disait le temps, la famille, les semailles de mars, les bêtes, les récoltes à venir...

Mais ce midi-là, on parlait surtout de la mésaventure de deux marchands. L'un de Felzins-en-Querçy, à qui on avait volé un louis et un écu reçus peu auparavant pour le prix de six brebis, l'autre du lieu de St Antoine près Leynhac qui, dans une bousculade, avait perdu sa bourse et ses deux écus de 6 l destinés à l'achat d'un jeune cochon. La maréchaussée de Maurs (3) qui surveillait la bonne tenue de la foire, surtout aux alentours du foiral et des auberges, avait beau faire, les filous y commetaient toujours leurs larcins, et d'honnêtes marchands, de paisibles clients étaient en un tournemain dépouillés de leurs gains ou de leurs économies. Cette fois pourtant, l'affaire fut menée rondement : dénoncés par "la clameur publique" et par un propriétaire de Maurs qu'avaient alerté "leur mine basse" et leurs regards avides accrochés aux goussets des passants, deux jeunes hommes étaient capturés par les cavaliers de la maréchaussée alors qu'ils venaient d'acheter quelques sous de tabac à l'auberge du RAYNAL et remis en la geôle de la ville.

On s'en fut quérir Maître Annet SOUQUIERES, procureur du roi au siège de Calvinet, que ses activités de négoce avaient distrait, cette fois-là comme beaucoup d'autres, de ses fonctions judiciaires. Deux heures plus tard - le temps de régler avantageusement l'achat d'une autre paire de "boeufs arans" pour son domaine de la Bories, de ceindre sa robe magistrale, de coiffer sa perruque neuve (4) - il procédait aux premiers interrogatoires.

L'interrogatoire de Jean Faucon

Il était environ cinq heures de relevée lorsque fut amené devant lui (Maître Annet SOUQUIERES) Jean FAUCON, le premier accusé, natif de St Jacques-des-Blats, paroisse de Thézac au diocèse de St Flour, âgé d'une vingtaine d'années. Pour s'être fort débattu, il avait été malmené par ceux qui l'avaient arrêté ; il manquait l'un des boutons de cuivre à sa veste rouge de gros drap, et sa culotte de serge brune était endommagée aux genoux. Il répondit sans trop hésiter aux questions que lui assenait rapidement le procureur, alors que le greffier avait peine à noter ce qu'il entendait : il était né il y avait eu 21 ans à la Notre-Dame de Mars, sa mère était morte en le mettant au monde ; son père, un petit marchand "colporteur de toyles et mouchoirs", avait abandonné la balle après de mauvaises affaires pour aller mendier ; lui, à onze ans, avait été loué comme berger du côté de Raulhac, à Palieyrols, chez un aubergiste ; il était resté deux ans chez son maître ; oui, il l'avait bien et fidèlement servi ; non, il n'avait pas volé, il était parti car on ne pouvait le garder.

Ensuite, n'ayant trouvé personne qui voulût l'employer, il avait mendié son pain aux alentours d'Aurillac pendant plusieurs mois. Après, il s'est loué "avec le nommé Antoine, chodronier, roulant en qualité de domestique pour vandre des choderons, cueillères, ou ra(ccom)oder les choderons" ; il a accompagné son maître à Bordeaux où ils logeaient près du château Trompette, il a travaillé deux ans pour lui, jusqu'à son renvoi. Il est alors retourné dans son pays, chez un de ses frères nommé Jean FAUCON, du bourg de Thiézac qui ne lui donnait pas de gages, mais le nourrissait et l'entretenait en lui laissant "tenir pour son compte une velle et trois brebis".

Pourquoi était-il venu à Calvinet ? Depuis quand était-il parti de Thiézac ? Jean FAUCON hésita, bredouilla et finit par dire qu'il avait quitté son frère depuis plus de trois semaines, le 1er Avril, où il avait au petit matin pris le chemin d'Aurillac, et s'en était venu coucher chez CALVET, à la porte des frères. Le lendemain, il alla à la Roquebrou où il dormit un jour ou deux dans la paille d'une grange d'auberge, au-delà du pont sur le chemin de St Céré. Il était resté ensuite plusieurs jours du côté du Quercy, cherchant à s'employer de ci de là, tantôt à St Céré, tantôt à Aynac, et surtout à Assier où il avait loué ses bras à la manoeuvre pour la réparation d'un mur du château ; on lui avait donné quatre sous par jour et la dépense. Il en était parti le 19 du courant pour Lacapelle-Marival où se tenait la foire, aidant à tenir des "fedes" que voulait y vendre un marchand de Gramat, et s'était mis en route mardi pour venir à Calvinet, passant par St Cirgues-en-Quercy et la Vente.

Qu'avait-il à faire au lieu de Calvinet ? Il pensait y rencontrer un beau-frère "faisant le métier de brebis" qui y serait à coup sûr et lui prêterait de l'argent ou le prendrait avec lui. S'il l'y avait trouvé ? Non, car on l'avait arrêté dans l'escalier d'une auberge, et jeté immédiatement en prison.

Audition d'Antoine Bousquié

Tant que le fer est chaud, il faut le battre ; renvoyant Jean FAUCON à sa geôle, Maître Annet SOUQUIERES tient maintenant sur la sellette l'autre prévenu, un homme d'environ 25 ans "assez bien pris dans sa taille" - il mesure bien 5 pieds 3 pouces - "les yeux gris un peu foncés", le front petit, d'épais cheveux châtain foncés, le visage gravé d'une cicatrice sur l'oeil droit et des marques de la petite vérole. Il est vêtu assez proprement d'une veste de drap de paysan ; sa culotte de rase marron claire s'enfonce dans des housseaux d'étoffe brune et des souliers à boucles de métal jaune. Il porte au cou "un mouchoir de soye" ; sur la tête, au dessus d'un bonnet de lin, "un chapeau quasi neuf de laine" qui vaut bien ses 5 L ; à la main, mais on le lui a bien vite ôté, un bâton de houx garni d'un cordon marron. Dans ses poches de chausses, la fouille a saisi "un couteau à ressort dont la lame est percée au milieu de deux trous, savoir d'un en forme de coeur et l'autre petit et rond", un tube de sureau de quelques pouces de long contenant de la pommade à cheveux, "une petite pierre à éguiser les couteaux", un étui de cuir avec "un mauvais peigne de buis", un lacet de soie, "du fil noir en peloton fort petit", et surtout, malheur à lui ! "un louis d'or de 24 L dans la poche droite et un écu de 6 L dans l'autre, plus une bourse de chamois blanc contenant 2 s 9 d. Sa cause est déjà entendue et ...perdue.

La justice de Calvinet s'affaire, jetant tour à tour contre lui le procureur Annet SOUQUIERES et maintenant Maitre Etienne MIQUEL, conseiller du roi, juge d'appeaux au bailliage du lieu (5). Sur leurs injonctions, l'accusé "la main droite levée à Dieu" fait "serment de dire vérité" ; il répond se nommer Antoine BOUSQUIÉ, natif du village de Lasfargues-en-Rouergue, âgé d'environ 24 ans, fils d'Antoine BOUSQUIÉ, "travailleur de terre et tisserand", et de Marianne CANTAREL(6). Son père avait quelques lambeaux de terre, y ajoutait son métier de tisserand, mais voici vingt ans qu'il mendie son pain avec son épouse, et lui même a suivi ses parents de village en village, de St Antonin à Rodez, de Rignac à Sauveterre et jusqu'en pays albigeois. Jusqu'à l'âge de vingt ans, il n'a fait d'autre métier que tendre la main; parfois une porte s'est entrouverte, il s'est assis à un coin de table pour manger l'écuelle de soupe ou le chanteau de pain qu'on lui octroyait plus ou moins chichement ; ailleurs, il a reçu un coup de bâton, les chiens l'ont poursuivi, logé à la même enseigne que ses parents, celle des "mendiants et pieds poudreux" (7) depuis qu'ils ont vendu leur peu de bien, leurs méchants meubles et même le métier qui avait rythmé leur vie jusque là. Voici deux ou trois ans qu'il est parti de son côté pour trafiquer (8) dans le Quercy, vers Caylus ; il a acheté du sel à plusieurs reprises et l'a transporté et vendu en pays albigeois. L'argent pour le sel ? Il provenait de son oncle qui avait acquis les meubles de la maison de son père. Mais la pratique était devenue rare, les marchands et regrattiers (9) le regardaient avec défiance, lui prenaient sa marchandise : il a été contraint de laisser ce trafic où il faisait fort peu de profit.

Sur le conseil de gens de rencontre, des dires de voyageurs, il a quitté le pays un peu avant la St Martin dernière, allant vers le lointain "Royaume d'Espagne" où il espérait bien "s'acquérir des commodités" comme ces deux garçons charpentiers de Flanhac avec lesquels il a voyagé jusqu'à Bayonne. Ils se sont séparés avant de passer la montagne ; ils disposaient de quelque argent et d'un cheval, tandis qui lui pour continuer sa route, devait trouver du travail à la journée, de quoi acheter son pain. Plus tard, il s'est aventuré dans le pays d'Espagne, a marché longtemps, est arrivé près d'une ville du nom de Pamplune, mais sans ressources, "n'ayant pas entendu le language" des habitants, il a rebroussé chemin. On l'a hébergé pendant une dizaine de jours à l'hôpital de Bayonne d'où il est revenu dans le Quercy. Il lui est impossible "d'exhiber de ses passeports", il les a perdus, on les lui a volés, il ne sais pas. S'il est venu à Calvinet, c'est qu'il pensait y retrouver Antoine BOUSQUIÉ, son oncle, tisserand au village de Lasfargues, "qui luy devoit 12 L provenant d'une vente qu'il luy avoit faitte de l'étably de son père il y a environ un an..."

Avant d'arriver ici, il a couché la nuit dernière au Trioulou chez JALENQUES aubergiste, et la veille "à Marsilliac-en-Quercy". Il nie connaître d'auparavant le "quidam" qui a été arrêté avec lui "en sortant d'une boutique où il avait pris du tabac", il dénie les accusations de vol.

La sentence du 3 mai 1773

Malgré protestations et dénégations - non, ils ne se connaissaient pas avant leur arrestation ! non, mille fois non, ils n'étaient ni complices ni auteurs de ces vols ! - Antoine BOUSQUIÉ et Jean FAUCON étaient trop suspects pour ne pas être condamnés, et lourdement, d'autant plus que ce dernier était coupable de récidive, un récidiviste du crime de vagabondage. La fouille qu'il avait subie avant l'interrogatoire découvrit "qu'il était marqué d'une marque sur l'épaule droite", flétrissure d'une précédente condamnation. Un exprès diligenté à Aurillac, auprès du présidial, en rapporte des "preuves" accablantes : un jugement de cette cour en date du 3 juin 1779, accusant Jean FAUCON, son père, son frère aîné, sa belle-soeur et un autre, d'être "errants, vagabonds, sans domicile fixe, sans profession ny bien pour subsister, n'ayant pu faire certifier leur bonne vie et moeurs par personnes dignes de foy", les avait condamnés à être "emmenés sur la place publique de cette ville pour y être attaché à un poteau et ensuite flétris d'un fer chaud en forme de trois lettres G.A.L sur l'épaule dextre, ce fait conduit en galères du Roy pour y être détenus et servir ledit seigneur Roy en qualité de forçats pendant le tems et espace de trois ans" ; seuls Jean FAUCON père, en raison de son grand âge, et marguerite LAFON échappaient aux bateaux du roi et seraient "renfermés" durant trois ans au dépôt de mendicité de la ville de Mauriac.

Pauvre Jean FAUCON, mendiant et vagabond de St Jacques-des-Blats en Haute-Auvergne, rattapé par son passé, expédié par la justice du temps et de Calvinet. Sa vie de misère devait se consumer là au Puech La Fourque (10) juridiction dudit lieu, où son corps serait exposé aux fourches patibulaires après que le pauvre hère aurait été "pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'ensuive par l'exécuteur de la haute justice, sur une potence...dressée sur la place publique de cette ville..."

Justice expéditive, on est bien loin de ces chicanes et procès qui s'éternisent en rebondissant de mois en année et de lustre en demi-siècle. Au suivant de ces messieurs !

Pour Antoine BOUSQUIÉ, la condamnation fut tout aussi dure, à la réserve qu'il n'était pas récidiviste. Coupable d'être "errant, vagabond, sans aveu, profession, ni métier, sans bien pour vivre ny subsister", coupable d'avoir volé "de concert avec ledit Jean FAUCON", il sera" fustigé de verges par l'exécuteur de la haute justice de cette place publique et carrefours de cette ville, ce fait attaché à un poteau...dressé sur la dite place, et ensuite flétry d'un fer chaud en forme de la lettre G.A.L. et conduit aux galères du Roy pour y servir en qualité de forçat pendant l'espace de deux ans..."

Les habitants de Calvinet eurent-ils les émotions fortes que leur promettait le jugement du 3 mai 1773 ? Les victimes - je demande pardon de ce lapsus à la haute justice de nos aïeux - les condamnés interjetèrent-ils appel devant le présidial de Riom ou de Clermont en Auvergne ? Leurs plaintes, leurs cris de désespoir furent-ils entendus ? Je n'ai pu le savoir.

La seule pièce du dossier, postérieure à la condamnation, est datée du 14 mars 1774, elle autorise les marchands volés à recouvrer leur argent."Frères humains qui après nous vivez, n'ayez les coeurs contre nous endurcis car si pitié de nous pauvres avez Dieu en aura plus tôt de vous merci".

La complainte de François VILLON, depuis cinq siècle, hante notre coeur, interpelle notre conscience, notre raison. Mais ce n'est pas pour établir un nouveau constat de notre faiblesse ou de la précarité de notre jugement, que nous avons ouvert ce dossier de la série B du Cantal ; ce n'est pas non plus pour déterminer les similitudes d'orogines, d'itinéraires et de destins entre l'Auvergnat Jean FAUCON et Antoine BOUSQUIÉ, le Rouergat. Toutes les "remues d'hommes" (11), d'où qu'elles viennent, où qu'elles aillent, se ressemblent, se croisent, se nouent et de dénouent sur le même mode, bien souvent tragique. Et qui saurait nous dire, avbec objectivité et vérité, les errements et tourments de tous les miséreux de tous les temps. Bornons-nous à espérer égoïstement qu'un jour prochain, en Rouergue comme en Quercy ou en Auvergne, la série B - celle de la justice avant 1790 (12) - ouvre tous ses dossiers aux investigations des chercheurs, historiens, généalogistes.

Jean-Pierre KRUM Article "ERREMENTS ET TOURMENTS" paru en 1994 sur un bulletin du CGR, d'après ses recherches aux AD du Cantal dans la série B, dossiers criminels de la justice de Calvinet - et dont l'ambition est de rapporter aussi fidèlement que possible, d'après leurs interrogatoires, leurs dires et les témoignages contenus dans une quinzaine de pièces, les malheurs de deux compagnons d'infortune. Les faits se passent en avril-mai 1773 à Calvinet et mettent en scène Maître Annet SOUQUIERES (dite Branche A des Souquieres) qui procéda aux premiers interrogatoires.


NOTES :

  1. ERREMENTS ET TOURMENTS est l'excellente traduction que donne Georges PAULINE au titre du roman de Théodor FONTANE "Irrungen Wirrungen" (1888). Notons par curiosité que ce romancier allemand descendait d'une famille huguenote de Gascogne.
  2. Calvinet : commune d'environ 500 habitants, canton de Montsalvy, département du Cantal.
  3. "C'est en 1771 que fut établie à Maurs une brigade de gendarmerie". Deribier-du-Châtelet. Dictionnaire statistique du Cantal.
  4. Le procureur de Calvinet : sa charge ne suffisant pas à le faire vivre, il y ajoutait d'autres activités. "Faut-il le dire, l'un d'eux était procureur et tisserand ; lorsqu'une personne venait le demander, chez lui, la femme du cumulard avait soin de s'informer tout d'abord si elle venait en qualité de plaideur ou comme pratique du tisserand. Dans ce dernier cas, elle appelait son mari par son nom de baptême seulement : "Pierre, on te demande !"; Mais si c'était un plaideur, elle s'écriait : "Maître PISTRE, on vous demande !". Et le procureur se hâtait de rejeter sa navette, de se dépouiller du tablier professionnel, de prendre sa robe et sa perruque..." Deribier-du-Châtelet. id
  5. Le juge d'appeaux : Le grand Dictionnaire Littré, la grande encyclopédie du XIX°siècle ignorent cette fonction de la justice d'ancien régime. Ce qui est sûr, méchant jeu de mots, c'est que "le juge d'appeaux ne jouait pas du pipeau".
  6. Le registre paroissial de Vabre-de-Rieupeyroux (aujourd'hui Vabre-Tizac -4E 289-1) aux Archives Départementales de l'Aveyron nous donne, le 13 janvier 1749, la naissance de "Antoine BOUSQUIÉ, fils à autre Antoine, tisseran, et Marianne CANTAREL mariés du village des Fargues..." Les parents s'étaient mariés le 7 février 1746, dans cette paroisse. Madame Geneviève SAUREL m'a également communiqué un acte notarié : règlement de succession entre Antoine BOUSQUIÉ tisserand et autre Antoine BOUSQUIÉ, son frère consanguin tous les deux de la paroisse de Vabre (Maître GUIBERT, de Vabre-Tizac, 3 E 10041).
  7. "Mendiants et pieds poudreux" : l'expression pittoresque rencontrée ça et là dépeint bien le nouveau "statut social" de ceux qui ont quitté leur oustal.
  8. Le trafiquant fait un petit commerce, de détail entre autres. Le terme n'est nullement péjoratif au XVIII° siècle.
  9. Le marchand regrattier revend au détail les minots de sel achetés aux entrepôts.
  10. Le Puech La Fourche désigne sinistrement le lieu d'exposition des corps suppliciés à Calvinet.
  11. Remues d'hommes : titre d'une remarquable étude d'Abel Poitrineau sur les migrations montagnardes aux XVII° et XVIII° siècles, Paris-Editions Aubier - 1983.
  12. Les archives de la Maîtrise des eaux et forêtes - quelques centaines de liasses classées (AD12)-B1 à 228 et plus... offrent déjà des parcours savoureux en matière de chasse, de pêche, de coupes de bois...


PROCÉDURE CRIMINELLE, Ancien Régime

La principale caractéristique de la procédure criminelle française, des Temps modernes à la Révolution, était d'accorder un rôle prépondérant au lieutenant criminel. Les droits de l'inculpé à se défendre étaient, par là, fort fragiles, ce qui apparaît à l'étude des trois grandes phases du procès: l'information, l'instruction préparatoire et le jugement.

L'information s'ouvrait lorsque le plaignant, se portant partie civile, ou, le plus souvent, le procureur du roi, saisissait le lieutenant criminel. Mais le lieutenant criminel pouvait encore se saisir lui-même en vertu de l'adage: «Tout juge est procureur général.» Le lieutenant criminel procédait alors aux constatations et rassemblait les premières preuves. Désormais, ce serait lui qui intenterait le procès. Il entendait alors secrètement la victime, puis les témoins; il communiquait ensuite son dossier au procureur du roi, qui prenait ses conclusions. À ce moment, si les charges paraissaient insuffisantes, le dossier était clos et, à supposer (ce qui était le cas le plus fréquent) que le suspect ait été arrêté, celui-ci était élargi. Mais si les faits paraissaient établis, le renvoi à l'audience pouvait être ordonné, quelle qu'ait été l'importance de la faute commise et quelle que soit la peine encourue, et la procédure suivait son cours. Lorsque le suspect n'était pas incarcéré, le lieutenant criminel pouvait décerner un décret d'assigné pour être ouï, d'ajournement personnel ou de prise de corps. Le suspect était alors placé en détention provisoire et devenait inculpé.L'interrogatoire de l'inculpé devait avoir lieu immédiatement après l'exécution du décret, ou dans les vingt-quatre heures suivant l'arrestation.

L'inculpé s'expliquait alors seul, sans l'assistance de défenseurs, et surtout après avoir prêté serment de dire la vérité. Lorsque l'accusé refusait de prêter serment, ou même de répondre, on «lui faisait son procès comme à un muet volontaire»: le juge interpellait trois fois l'accusé d'avoir à répondre, et l'avertissait trois fois sur les conséquences de son mutisme. Devant la persistance de l'accusé à ne pas vouloir répondre ou prêter serment, le juge passait alors outre, constatant cependant, chaque fois que cela était possible au cours de la procédure, que l'accusé refusait de parler. Tous les actes de la procédure restaient alors valables. Il en était ainsi même si, par la suite, l'accusé sortait de son mutisme. L'interrogatoire, une fois écrit, était transmis au procureur du roi. L'importance de l'affaire était alors considérée. Si celle-ci était minime, le lieutenant criminel convertissait la procédure en procès ordinaire, et on renvoyait à l'audience. Si elle ne l'était pas, et notamment si elle était de nature à entraîner l'application de peines corporelles ou infamantes, le procès pouvait être réglé suivant la procédure extraordinaire. Alors s'ouvrait l'instruction préparatoire.

Le lieutenant criminel procédait au récolement des témoins, hors de la présence de l'inculpé. Il procédait en fait à la lecture aux témoins de leur première déposition et leur demandait s'ils persistaient ou non en leurs allégations. Les témoins étaient aussitôt confrontés à l'accusé, qui pouvait alors, le cas échéant, formuler des reproches, ou des faits susceptibles d'affaiblir la déposition des témoins. C'était la seule occasion donnée à l'accusé de saisir l'accusation. Les pièces étaient ensuite communiquées au procureur, qui prenait des conclusions définitives. L'inculpé devenait alors accusé. Le procès venait alors devant le tribunal entier (lieutenant criminel et assesseurs): l'accusé était interrogé. La plupart du temps, la question était ordonnée; il s'agissait alors de la question préparatoire, destinée à obtenir l'aveu de l'accusé: l'accusé prêtait serment et était interrogé trois fois: avant, pendant et après la torture. Seul un aveu persistant et réitéré après la torture valait preuve certaine. Aucun conseil n'assistait l'accusé pendant l'instruction préparatoire. À la fin de celle-ci s'ouvrait la phase du jugement.

Si encore, la procédure était secrète. Chaque pièce était lue; chaque preuve, examinée. L'accusé n'était pas jugé suivant l'intime conviction, mais suivant un système de preuves légales. Le jugement de condamnation était alors prononcé à huis-clos, puis lu à l'accusé. Procès-verbal de cette lecture était dressé. En cas de jugement de condamnation, le condamné subissait la question «préalable», destinée à avoir «de sa bouche nom et révélation de ses complices». Puis il était exécuté le jour même (exemption faite pour les femmes enceintes), généralement au petit jour, «le cri préalablement fait par le bourreau». En cas de preuves insuffisantes, il était rendu un jugement de plus amplement informé. Le plus amplement informé à temps était prononcé pour les crimes non atroces, ou lorsque les indices étaient légers. Le plus amplement informé sine die était prononcé pour les cas graves, l'accusé restait alors incerti et dubii status . Le plus amplement informé pouvait donc être assimilé à une peine de prison destinée à purger les indices légers pesant sur l'accusé. L'absolution ou le rejet de l'accusation permettaient à l'accusé d'agir en dommages-intérêts contre le plaignant. La «mise hors de cour» pouvait enfin être ordonnée. L'accusé était alors libéré, mais non lavé de tout soupçon et, surtout, il ne pouvait réclamer de dommages-intérêts: cette forme de relaxe était donc beaucoup plus usitée que la précédente.

La procédure criminelle des Temps modernes à la Révolution était écrite, secrète, laissant peu de garanties à la défense. Elle était enfermée dans un système formaliste et était avant tout commandée par l'aspect comminatoire du châtiment: le condamné n'était-il pas traîné sur une claie, au sortir de la chambre des tortures, jusqu'au lieu de l'exécution publique, c'est-à-dire, le plus souvent, au lieu où l'infraction avait été commise, et où, après l'exécution, on le laissait pourrir?